Le désir de ce spectacle est né d’une rencontre avec la communauté de voguing parisien.

En assistant à des balls et en écoutant parler les performeurs, j’ai senti qu’il y avait quelque chose de puissant qui se passait là, dans l’invention d’une langue de résistance, dans la codification à l’extrême, dans les rituels que contient cette culture.

Je ne veux pas faire un spectacle sur le voguing, ce n’est pas mon endroit, en revanche, travailler avec des vogueurs, comprendre et utiliser le voguing comme une technologie de pensée, dire comment la marge stigmatisée fait communauté pour réinventer sa vie : c’est tirer un fil, celui d’une résistance par le rituel exutoire, qui parle à tous, et qui fait théâtre.

Le voguing est une culture, plus que la désignation d’un style de danse urbaine. Il est né d’une double exclusion : celle de la communauté homosexuelle au sein de la communauté noire, à New-York dans les années 80. Des jeunes personnes racisées, homosexuelles et/ou trans, dans des situations parfois très précaires, se retrouvaient ensemble, inventaient un mode de communauté protectrice et soignante, créaient les conditions pour réinventer leur vie, se redéfinir dans les marges d’un monde où leurs places étaient dangereuses.

Réinventer des hiérarchies – les « mothers » des « houses »que l’on se choisit, groupe d’une dizaine de personnes, jouent un rôle social très fort, d’éducation et de protection , des pronoms, des styles de vie et des modes de fonctionnement inédits qui leur correspondaient.

La naissance de telles communautés en France date d’une petite dizaine d’années et est venue répondre au même désir d’expression, de solidarité et de fête. Les structures inventées sont similaires, et le rituel des balls – les soirées où s’affrontent les vogueurs dans des battles déclinées en différentes catégories de performance, souvent relatives à la performance de la féminité – se sont adaptées au contexte politico-social français.

C’est en fréquentant les balls et en rencontrant des personnalités influentes de la scène voguing français que j’ai décidé de travailler avec deux des performeurs qui seront dans le spectacle. Je veux travailler avec le vocabulaire de cette contre-culture d’aujourd’hui, avec ce qu’elle appelle d’inclusion, de liberté, de joie.

En m’inspirant d’eux, m’est venue une fable, une arche narrative, qui montrerait le passage du temps dans un lieu unique,dans les marges desquelles une succession de petites communautés résistantes se fraieraient une vie.

Dans le spectacle, il y aura des vogueurs et des acteurs, sept performeurs au total, qui font communautés passagères dans un espace scénographique en permanente métamorphose, un espace-système, une usine du monde. Jusqu’à présent, j’ai considéré la mise en scène comme un geste d’herméneute.

Fidèle à ce qu’on enseigne dans lesécoles qui m’ont formée : un metteur en scène est l’interprète premier du texte, qui est le seul vrai fanal d’une création. Aujourd’hui je ressens la nécessité de déplacer mon geste, d’écrire une partition de corps, de textes et d’espace, d’humains et non-humains, pour dire les tentatives de résistance et d’invention précaire, les cabanes de sens dans les marges du temps.

5>9 novembre 2019